Les conflits au sein d’une entreprise sont bien souvent inévitables. Dans le cas d’une entreprise familiale, ces derniers impactent les sphères privées et professionnelles. Dans son article paru dans le « Harvard Business Review »*, que nous retranscrivons ici en français et de manière synthétique, Josh Baron explique que de nombreux exemples existent où l’opposition entre membres d’une même famille détentrice d’une société a conduit à la destruction de celle-ci. Cependant, le phénomène inverse s’avère tout aussi néfaste. L’absence totale de situation conflictuelle nuit parfois à la croissance et à la compétitivité. Comment alors trouver le juste niveau de conflit dans l’entreprise familiale ?
Trop de conflits nuisent à la pérennité de l’entreprise
Que l’on puise dans le monde de l’entrepreneuriat ou dans la culture populaire, les cas de conflits entraînant la destruction d’une entreprise familiale sont faciles et nombreux à trouver. Citons par exemple, les frères Ambani en Inde, les fondateurs allemands d’Adidas ou, plus anecdotique, la famille Ewing de la série télévisée Dallas.
Une situation conflictuelle appelle une extériorisation de la colère. Au sein d’une famille dirigeante, il est aisé de laisser libre cours à des réactions excessives, la censure étant moindre qu’avec des personnes étrangères.
Lorsque les différends prennent le pas sur la direction de la société, le climat général est alors peu propice à la bonne progression des projets et à la prise de décisions constructives. Les équipes se sentent également démunies et déstabilisées. Dans certains cas, le seul choix qu’il reste est la vente ou le retrait de la famille de la tête du groupe.
… Mais l’absence de conflits génère également des problèmes
Le fait d’éviter à tout prix les disputes au sein d’une entreprise dirigée par une famille se révèle tout autant destructeur. Un nombre apparemment peu élevé de conflits cache souvent une grande frustration des membres de la famille actionnaire ou dirigeante. De l’extérieur, tout a l’air parfait, mais sous la surface les rancœurs et les divergences d’opinions bouillonnent. Dans cette situation, la parole semble bridée, retenue et empêche finalement l’émergence de nouvelles idées ou de projets innovants.
De l’avis général, la famille prime sur le reste. L’envie de donner l’image d’une famille en total accord génère une pression qui ne peut pas être subie éternellement sans entraîner des répercussions dommageables. Tôt ou tard, la colère non exprimée explosera et les conflits initialement évités devront être gérés dans l’urgence, faute d’avoir laissé s’exprimer à temps des avis éventuellement divergents.
Que gagne-t-on à instaurer un bon équilibre ?
On le voit, l’impact d’une discorde excessive et celui d’une opposition insuffisante au sein d’une entreprise de famille sont pratiquement identiques. Dans les deux cas, le risque est d’engendrer une croissance limitée, une prise de décision inadaptée ou une perte de compétitivité. Parfois, la situation aboutit carrément à la vente de l’entreprise.
Trouver le bon niveau de conflit revient à comparer la position de la famille dirigeante au comportement de la petite fille dans “Boucle d’Or et les trois ours”. Se laisser aller à l’une ou l’autre des deux extrêmes n’est pas envisageable si l’on souhaite faire fonctionner sa société. Si l’on devait faire une autre analogie, on pourrait faire un parallèle entre le degré d’entente au cœur d’une entreprise et la position de la Terre dans le système solaire. Située plus près du soleil cette dernière serait trop chaude pour que la vie s’y épanouisse, mais si elle était localisée plus loin, il y ferait trop froid.
La vision de l’entreprise est rarement identique d’un membre de la famille à l’autre. Partant de ce constat, certains désaccords sont forcément inévitables. Pour autant, il est inutile de se jeter corps et âme dans une guerre sans fin, tout comme il serait peu judicieux de fuir la situation.
Une fois les divergences apparues, la priorité est de les gérer, de ne pas nier leur existence sous peine de les voir irrémédiablement dégénérer à plus ou moins long terme. En adoptant une position intermédiaire, les problèmes difficiles sont soulevés et résolus, sans nuire aux relations familiales, qu’elles soient privées ou professionnelles.
Certaines familles acceptent mieux les conflits que d’autres. De la même manière, la capacité à mettre ses intérêts de côté pour soutenir la cause commune varie en fonction de chacun. Il est pourtant primordial de laisser la parole circuler librement et sans excès pour surmonter les difficultés et maintenir une situation prospère.
Faire le point sur la situation de sa propre entreprise
Afin d’engager un débat constructif au sein de votre société et pour faire le point sur la situation de celle-ci, vous pouvez vous poser quelques questions :
- Existe-t-il une satisfaction générale quant à la direction de l’entreprise ? Vous n’êtes peut-être pas toujours en accord, mais si l’environnement de travail est sain, vous estimerez plus judicieux de rester ensemble que de vous séparer.
- Des décisions concernant des problèmes critiques sont-elles prises ? Si vous maintenez un équilibre satisfaisant, vous conviendrez du fait qu’il n’y a pas de sujets préoccupants pour la société qui sont évités ou négligés.
- Les relations familiales sont-elles assez bonnes pour travailler et célébrer ensemble ? Si le niveau d’entente est correct, vous n’êtes pas forcément les meilleurs amis du monde, mais vous êtes de bons partenaires commerciaux partageant des objectifs communs et appréciant la compagnie de chacun, la plupart du temps.
S’ouvrir vers l’extérieur, un bon moyen d’apaiser les tensions
Pour que la réussite de cette « introspection » soit maximale, il est souvent utile de faire appel à un tiers de confiance, spécialiste des entreprises familiales et qui saura accompagner tous les membres de la famille dans l’expression de leurs attentes, frustrations, ou satisfactions.
Généralement, les membres d’une famille dirigeante visent le même but : la pérennité de leur entreprise. Si vous êtes capables de discuter et d’échanger malgré des prises de position divergentes, alors vous vous situez dans une zone de conflit tout à fait saine.
Bien sûr, dans un monde parfait les conflits seraient inexistants, à plus forte raison dans une entreprise familiale. Malgré tout, certains désaccords s’avèrent bénéfiques pour l’évolution d’une société. Ils constituent souvent une occasion de dissiper les ressentiments potentiels, les éventuels problèmes et aident parfois à mettre au point des processus motivant une prise de décision pertinente. Contrairement à ce que l’on a tendance à penser intuitivement, une mésentente bien gérée ne détruira pas une famille, mais peut avoir pour conséquence un réel renforcement des liens entre ses membres. Il ne faut donc pas hésiter à s’interroger, avec l’aide d’un spécialiste afin que la parole soit encore plus libre.
Références / Pour aller plus loin : * Source de l’article initial:
“Why family businesses need to find the right level of conflict” écrit par Josh Baron, professeur adjoint à Columbia Business School et co-fondateur de BanyanGlobal Family Business Advisors. Article paru dans la revue “Harvard Business Review” le 26 décembre 2018