Les biais cognitifs nous tendent des pièges. Comment éviter de tomber dedans ?

Image illustrant divers biais cognitifs

« We can do everything straight and still go broke. » dit Porter Collins dans The Big Short (2016). Mais comment est-ce même possible si nous avons fait de notre mieux ? Il y a des échecs qui ne sont pas le fruit d’erreurs sinon de circonstances, mais si nous pouvions déjà éviter les pièges de la décision…

En effet, prendre des décisions, quoi de plus rationnel pour un dirigeant d’entreprise. Pourtant, et l’économie comportementale s’attache à le montrer, des biais cognitifs viennent tendre et renforcer des pièges de la décision de manière inconsciente. Bien connus des grands dirigeants, ces pièges ne peuvent cependant pas être corrigés individuellement mais seulement en exploitant la diversité du collectif et la bonne gouvernance, tout en évitant la pensée unique ou culturellement trop ancrée.

À travers l’exemple « romancé » ci-dessous, comprenons bien de quoi il s’agit et combattons-les.

Des biais cognitifs inconscients… contre lesquels on ne peut rien !

Contexte:

Imaginons que vous soyez à la recherche d’acquisitions pour votre société industrielle qui a ancré dans sa stratégie pour 2022 la volonté de croissance externe.

  1. Il est 8h et sur votre bureau, une pile de dossiers d’acquisitions potentielles vous attend. Votre directeur commercial vous annonce qu’il a trouvé la perle rare. Une entreprise en pleine croissance qui vient de lever 20 millions et dont le PDG coche toutes les cases : X-HEC, MBA à Harvard… On dit que ce sera la prochaine licorne ! Elle s’appelle SEGEIP. Vous y aviez songé à un moment il vous semble mais vous en étiez arrivé à la conclusion que c’était une mauvaise idée. Votre directeur commercial travaille ici depuis 15 ans et a déjà proposé un dossier il y a 5 ans : ¼ du chiffre d’affaires du groupe aujourd’hui. Vous êtes fier de cette réussite. Vous lui dites que vous allez regarder et vous partez en réunion.
  2. Il est 11h30, vous avez revu avec votre équipe 3 dossiers d’investissement et aucun ne vous convient. Vous leur proposez alors de vous faire un scénario en cas d’acquisition de SEGEIP : augmentation du CA, nouvelles parts de marché, implantations, etc., la totale. Et vous allez déjeuner avec une amie d’école. Au détour d’une conversation sur les projets de sa boîte de communication, elle mentionne SEGEIP comme un client exceptionnel auquel elle promet un avenir glorieux. Vous ne dites rien mais vous pensez que cela vaudrait vraiment le coup d’étudier la question. Vous n’avez pas le temps l’après-midi car vous êtes en réunion.
  3. Le lendemain, vous faites le point avec votre équipe pour voir ce qu’ils ont trouvé. La présentation est projetée sur l’écran, les diapositives défilent et le verdict tombe : cette acquisition ferait de vous le leader européen du secteur et vous ouvrirait le marché américain. Avec un risque inférieur à 5%, cette entreprise devrait vous rapporter 100 millions d’euros d’ici 2022. Vous le sentez, c’est l’affaire du siècle !
  4. Ni une ni deux, vous proposez une réunion avec tous les directeurs de départements pour en discuter. Tout le monde semble très réceptif, vous fait confiance et connaît bien votre directeur commercial. La réunion est programmée le lundi suivant. Vous donnez à votre équipe une mission simple : convaincre tout le monde.
  5. Vous arrivez à ladite réunion, vous déroulez votre présentation et applaudissements finaux. Le premier à prendre la parole est le directeur commercial qui vous dit que les chiffres présentés ont fini de le convaincre. Toute l’équipe vous félicite pour votre travail. C’est au tour de la Directrice RH, arrivée en début d’année, de prendre la parole. Elle est quelque peu dubitative, elle ne voit pas bien comment l’entreprise pourrait absorber une telle acquisition… Elle est aussitôt coupée par le directeur commercial qui lui explique le succès qu’a été l’intégration d’il y a 5 ans. Vous en restez là et repartez préparer les négociations à venir : c’est dans la poche.

Malheureusement, vous connaissez la suite… SEGEIP n’est rien d’autre que l’anagramme de PIEGES et vous n’avez pas manqué de tomber dans nombre d’entre eux… si bien que l’acquisition se révèlera 1 an plus tard être un fiasco.

Moralité :

Ne soyez pas ce dirigeant ! Mais que faire pour l’éviter ? Toujours écouter l’avocat(e) du diable ? « Je vous l’avais dit pourtant… ».

Une architecture de la décision contre les pièges tendus au dirigeant

Dans son ouvrage Vous allez commettre une terrible erreur ! Olivier Sibony présente de manière très pédagogue et éclairante l’ensemble des biais cognitifs qui peuvent entrer en jeu dans une prise de décision et propose des solutions afin de les éviter en exploitant la force du collectif notamment.

Analysons, à la lumière de ces biais, les erreurs de ce dirigeant « fictif » :

  1. Lorsqu’un professionnel auréolé de succès vous présente sa vision enthousiaste d’un projet, vous n’avez qu’une seule envie : y croire ! Pourtant vous cédez là au storytelling et à l’effet de halo qui entoure ce champion du « croyez-en mon expérience ». Afin de s’en éloigner, il s’agit de bannir les récits fallacieux, de demander des opinions nuancées, de prendre le temps, de ré-ancrer la discussion, de discuter avec des personnes diverses voire de consulter des experts et consultants.
  2. Quoi de plus facile ensuite que de vous engouffrer dans cette voie quand tout vous pousse à le faire. Vous ne cherchez alors, ou du moins n’entendez, que des informations qui vont confirmer votre opinion. Il s’agit de l’éviter en actualisant ses opinions à l’aune de nouvelles informations, en s’appuyant sur des faits plutôt que des croyances, en ayant des communications non filtrées et contradictoires, quitte à désigner un avocat du diable.
  3. Dès lors que votre équipe prend le soin d’établir pour vous une projection de ce que pourrait donner une telle opération, et à coup de chiffres qui vous assurent que vous êtes dans le vrai : il est trop tard. Vous donnez dans l’excès de confiance avec un optimisme irréaliste qui se traduit par un plan précis qui est dès lors le support de toute réflexion, et brandi contre toute remise en question. Il serait pourtant préférable d’encourager une discussion préalable à la présentation avec un support rédigé (pas seulement des diapositives) voire un questionnaire antérieur, de constituer une « équipe rouge » opposée au projet, d’ouvrir le débat et d’inciter à la prise de parole, de bannir l’optimisme irréaliste (et le pire scénario ?), de faire un pre-mortem, de chercher des alternatives, de faire un stress test… les possibilités sont nombreuses et salvatrices.
  4. La dynamique qui s’enclenche alors ne repose même plus sur le projet mais plutôt sur le porteur de ce dernier. Il y a là conflit d’intérêts car vos équipes vous approuvent sans vous aider véritablement dans votre démarche. D’où la nécessité du décentrage, d’en discuter en externe, de rechercher la diversité, d’exiger un temps de réflexion pour décider « à froid », et de déterminer les critères de décision avant d’être embarqué dans le schéma de validation du projet.
  5. Le coup final est porté par la polarisation favorisée par la forme des réunions (l’ordre d’intervention des participants, etc.) et une pensée unique qui se nourrit d’une expérience passée de l’entreprise que chacun a en mémoire. Pour éviter de tomber dans ce piège, il faut favoriser des relations de confiance et un climat d’informalité au sein de l’équipe de direction, créer une culture de prise de parole et de libre expression de ses opinions (notamment des désaccords !), aligner les incitations individuelles sur l’intérêt commun, éviter l’analogie unique et les comparaisons aux seuls succès pour mieux décider ensemble et se nourrir de la force du collectif.

Ainsi, en prenant conscience de ces biais mais également du fait que cela ne suffit pas (car c’est le propre de ces biais), vous vous rendez bien compte de la nécessité de mettre en place des organes de décision (comité de direction ou organes de gouvernance) pour les contrer en recherchant la diversité des points de vue, pour des décisions collégiales.

En intégrant quelques principes de base dans votre manière d’étudier les projets, vous aurez déjà fait un grand pas pour lutter contre ces biais et aller vers de meilleures décisions !


Références / Pour aller plus loin :

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Le bilan d’étape

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  • A partir du diagnostic partagé, les principaux enjeux sont identifiés et discutés
  • Ils sont ensuite hiérarchisés dans la matrice des enjeux de Family & Co (en savoir plus ici)
    La « Matrice des enjeux » classe ces derniers, quelle que soit leur nature, en fonction de la maîtrise qu’en ont les responsables et de l’impact que leur « non résolution » peut avoir sur la vie de la société… ou de la famille.

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  • Le point de départ est le diagnostic effectué par le responsable, seul ou avec F&Co.
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