Lorsque l’on envisage la pérennité de l’entreprise familiale, on se projette par définition à long (voire très long) terme. Pour que l’entreprise familiale dure dans le temps, au-delà de la vie d’un homme (ou d’une femme), il faudra savoir la transmettre.
C’est précisément afin d’aider les familles actionnaires à anticiper cette étape clé que nous avons conçu notre « Guide Pratique : Abordez la transmission avec confiance » (guide concret sur la transmission à télécharger par ici). Car, qu’elle soit anticipée ou non, la transmission finira par arriver, et pourtant, nombre de dirigeant(e)s ne veulent pas voir cette échéance. Selon Bpifrance Le Lab*, près de la moitié des chefs d’entreprise familiale âgés de 60 à 69 ans n’ont pas encore formalisé leur plan de succession.
La transmission est souvent réduite à un phénomène successoral, accompagné de contraintes fiscales qu’il conviendrait d’anticiper et de limiter au mieux ou encore réduite à un enjeu de succession à un poste de direction. Mais transmettre ne se résume pas à une question juridique ou financière, nous avons eu l’occasion d’en parler en détail par le passé (notamment dans le livre « Accompagner et pérenniser une entreprise familiale », aux éditions DUNOD).
Pour celui qui transmet, il s’agit d’abord d’un changement de posture, d’un basculement quasi-identitaire : passer du statut de capitaine d’entreprise à celui de bâtisseur du socle actionnarial. Dit autrement, il s’agit de passer de la posture de l’incarnation à l’accompagnement.
Passer le flambeau, les questionnements du dirigeant
Derrière chaque transmission d’entreprise familiale, il y a un dirigeant qui doute, qui s’interroge. Pas seulement sur ce qu’il peut (et veut) transmettre, mais aussi sur la durabilité du système après son départ et in fine sur ce qu’il deviendra, lui-même, après cette transmission. Nous rencontrons ainsi 3 questionnements principaux.
L’incertitude vis-à-vis de la famille
Transmettre son entreprise, c’est confier un projet de vie, un héritage parfois déjà construit au fil de plusieurs générations. Or les dirigeants qui transmettent peuvent redouter que la génération suivante ne partage pas la même vision ou qu’elle prenne trop de libertés avec l’ADN familial, qu’elle mette en jeu cet héritage. Il y a aussi la peur des tensions, des rivalités, des incompréhensions qui pourraient fragiliser l’unité familiale. Les successeurs vont-ils respecter l’ADN familial ? Vont-ils être à la hauteur ? Des tensions vont-elles émerger ? Un dirigeant familial n’a pas seulement bâti une entreprise, il a façonné un projet collectif. La transmission fait bouger les lignes au sein de ce collectif : elle peut réveiller des rivalités latentes : entre héritiers, entre branches de la famille, entre ceux qui veulent diriger et ceux qui préfèrent rester en retrait.
Face à ces questions, il est parfois plus confortable de repousser l’échéance, dans l’espoir qu’un jour, tout devienne plus clair (ou au contraire, dans une posture “après moi le déluge!”). Mais attendre permet rarement de clarifier les réponses à ces craintes, bien au contraire.
L’inquiétude pour l’entreprise
Un dirigeant qui a bâti son entreprise ne peut s’empêcher d’imaginer le pire : mauvaise gestion, des choix stratégiques périlleux, une perte de performance. « Seront-ils capables d’anticiper les risques qui pèsent sur l’entreprise ? » « Ont-ils une compréhension assez fine du marché pour prendre les bonnes décisions ? » « Vont-ils mesurer les enjeux patrimoniaux et fiscaux liés à l’organisation du capital ? » Face à ces incertitudes, il devient tentant de renforcer encore son emprise sur l’entreprise. Il arrive que le dirigeant se persuade qu’il est le seul à pouvoir affronter les crises, piloter la diversification, maintenir le cap (et le faire pour soulager ses enfants). Cette sensation d’indispensabilité le pousse à repousser, consciemment ou non, le moment où il devra préparer sa suite.
Mais plus il attend, plus la transmission devient un sujet tabou. Et lorsqu’elle finit par s’imposer – souvent sous la pression des événements – elle se fait dans l’urgence, sans préparation suffisante, au détriment de l’entreprise et du projet familial. Rappelons aussi la bonne pratique de formuler et actualiser régulièrement un plan d’urgence en cas de transmission subie. Malheureusement, il y a fort à parier que le dirigeant qui n’aura pas su anticiper sa transmission, n’aura pas non plus pensé à prévoir le cas de transmission “accidentelle”…
Enfin constatons ensemble qu’il peut être difficile d’accepter de ne plus être celui qui décide, de voir son entreprise évoluer sans avoir la main sur les décisions, de ne plus jouir du statut accordé au chef d’entreprise.
La question de l’après : que vais-je devenir ?
Quitter la direction de son entreprise, c’est un bouleversement personnel. Beaucoup redoutent de perdre leur statut, leur utilité, leur raison d’être. Que faire après ? Comment se réinventer ? Ces interrogations sont souvent un frein invisible mais puissant à la transmission.