Depuis très longtemps, on cherche à transmettre le pouvoir de génération en génération dans les entreprises familiales. Le cinéma s’est ainsi régulièrement essayé à montrer la face cachée de la transmission du pouvoir dans les familles.
Un extrait célèbre et symptomatique :
Alfred Eaton (le fils) – « Tu ne m’as jamais demandé ce que je voulais faire. Et maintenant je suis supposé́ intégrer l’aciérie pour t’être agréable ? Tu me paralyseras pour le restant de ma vie. Tu ne crois pas que je sois capable d’y arriver tout seul. »
Samuel Eaton (le père) – « Non, tu n’es pas assez grand pour même marcher dans mon ombre. Et tu ne le seras jamais. »
From the Terrace, Mark Robson (1960)
Le prédécesseur, entaché de gravité et de sérieux, est animé par une volonté de pérennité de son entreprise pour laquelle il estime bien (trop) souvent que la relève n’est pas à la hauteur.
Si le cinéma ne se fait pas nécessairement le reflet de la société, il permet néanmoins d’extraire, en grossissant les traits, une vision de la réalité ainsi que des clichés l’accompagnant. À cet égard, l’image du « héros-leader » (dont parle Olivier Fournout) est à la fois celle du management et du cinéma hollywoodien dans une superposition confinant à l’excès, nourrie d’influences réciproques.
Du prédécesseur omnipotent au successeur dilettante, chacun des deux protagonistes semble en décalage, en désaccord ou même dépassé par les événements. Bien sûr, la vision cinématographique de la transmission de l’entreprise familiale n’est pas exempte de fantasmes, mais un arrêt sur image s’impose !
Le père de famille règne en maître
Sans aller jusqu’au meurtre du père comme dans « Hamlet goes Business » (1987), ce dernier doit néanmoins apprendre à lâcher progressivement les rênes.
L’image du chef d’entreprise dominateur, qui concentre le pouvoir entre ses mains, a la vie longue. Ce reflet de la société impacte également les entreprises familiales. Dans ces dernières, les films montrent des transmissions de pouvoir entre des patriarches exigeants et des successeurs dépassés, soumis ou révoltés par la situation.
Le père-dirigeant a tendance à étendre son autorité familiale en présidant à la destinée des enfants dont il trace les lignes au sein de l’entreprise, au-delà du biais bien connu d’altruisme (Gérard Hirigoyen) qui consiste à intégrer à tout prix (donc à compétences moindres voire inadaptées) des familiaux dans l’opérationnel.
Le patriarche tend bien souvent à vouloir transmettre à ses enfants, sans prendre en compte leurs volontés propres à l’instar de celles de Joseph et Aure dans « Family Business » (2019). Dans cette série, le premier fils a pour projet à l’origine de réussir avec sa start-up et ne veut absolument pas reprendre la boucherie familiale. Alors que le second n’a plus vraiment le business en tête et se prépare à partir au Japon. De la même façon, on peut évoquer l’exemple du film « L’aile ou la cuisse » où le décalage entre les aspirations du personnage de Louis de Funès et celles son fils incarné par Coluche est le principal ressort comique du film.
L’image du père de famille gérant d’une main de fer, tant son empire que sa famille, se retrouve amplifiée dans la série « Dynastie » (1981 – 2017) : Blake Carrington en est le parangon. Cette représentation fictive de la réalité met en lumière les relations de pouvoir et de domination au sein du cercle familial. En effet, le patriarche a du mal à se séparer d’une entreprise qu’il a mis du temps à créer.
Le parcours initiatique du successeur
L’enfant désigné est généralement confronté à l’exigence d’une formation exemplaire, à un passage par le métier au sein d’une division de l’entreprise avant de pouvoir espérer un jour prendre la relève.
Dans le film « L’Héritier » (1973), après le décès d’un capitaine d’industrie, l’arrivée de son successeur n’est pas vue d’un très bon œil au sein de l’entreprise. En cause, sa réputation de playboy ou de « fils à papa » qu’il va devoir contrecarrer en dirigeant avec autant de poigne que son père l’entreprise (tout en enquêtant sur les circonstances du décès de son père).
Dans d’autres cas, le successeur doit parvenir à trouver sa place entre ambitions familiales, volontés personnelles et nécessités opérationnelles ; et ce n’est pas chose aisée comme le montre « The Betsy » (1978) dans lequel un patron charismatique à la tête d’une dynastie américaine et son petit-fils – requin prêt à tout – se font la guerre au détriment d’une transmission bien préparée vers le fils.
C’est pourquoi ce processus de transmission familiale nécessite préparation et accompagnement. Bien des obstacles surviennent dans l’exercice de la fonction. Les rivalités entre père et fils sont sournoises, comme dans le film « Les grandes familles ». Les relations avec la concurrence sont occultées, comme dans le film « The Betsy ». Les dettes s’accumulent, comme dans le film « Itinéraire d’un enfant gâté ».
La transmission : une chance pour l’entreprise familiale
Pourtant, la transmission est une formidable opportunité pour l’entreprise familiale. Anticiper la transmission évite bien des déboires, notamment dans le cas d’un décès brutal du dirigeant. Ainsi, les héritiers peuvent compter sur le soutien de proches et d’anciens collaborateurs pour les épauler, comme dans le film « Largo Winch ».
Dans la série récente « Family Business » (2019), la transmission est l’occasion d’une réinvention de l’entreprise familiale, alors au bord du dépôt de bilan, avec la fédération de l’ensemble des membres autour d’un projet commun.
Le film « The Betsy » (1978) met en scène le cas de divergences entre les membres de la famille. Cette division familiale découle d’un manque de vision partagée et d’une diversification amorcée dans une industrie automobile déclinante à Détroit. Pourtant, une part de la famille croit encore dur comme fer dans la relance de l’entreprise. Il s’agit alors de tout miser sur l’innovation pour sauver le cœur de métier de l’entreprise familiale.
Conclusion :
Le film « Itinéraire d’un enfant gâté » a marqué toute une génération dans les années 1980. Actuellement, Claude Lelouch prépare la suite de ce film qui va s’intituler « Itinéraire de deux enfants gâtés ». Dans son premier opus, le chef d’entreprise Sam Lion s’était fait passer pour mort. Cependant, un de ses anciens employés, Albert Duvivier, l’avait reconnu en Afrique. Dans le nouvel opus en préparation, les rôles vont s’inverser. Albert Duvivier va mettre à exécution tout ce que lui a appris Sam Lion. Et vice-versa.
Une véritable histoire de transmission, en somme !
Références / Pour aller plus loin :
- Lanoux, B. (2015). « Les représentations sociales de la transmission d’entreprises familiales : enseignements apportés par les discours cinématographiques ». Management & Avenir, 79(5), pp.177-195.
Exemples cinématographiques cités :
- Les Grandes Familles (1958)
- From the Terrace (1960)
- L’Héritier de Philippe Labro (1973)
- L’aile ou la cuisse (1976)
- The Betsy (1978)
- Dynastie (1981 – 2017)
- Itinéraire d’un enfant gâté (1988)
- Largo Winch (2008)
- Family Business (2019)
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