Family & Co et Euronext ont réuni à déjeuner, le 12 février au Cercle de l’Union à Lyon, une vingtaine de dirigeants et actionnaires familiaux autour du thème « Fluidité du Capital dans les entreprises familiales… force ou fragilité ? » Ce déjeuner-débat, articulé autour du témoignage de Daniel Robin, Président de HERIGE, des apports d’Alexis Janin, Directeur régional d’Euronext et de Pierre-Emmanuel Costeux, Associé-Gérant de Family & Co, a été l’occasion d’un riche partage d’expériences.
Le Capital, moyen puissant pour les entreprises familiales
La composition du capital est un moyen puissant pour les entreprises familiales, au service d’objectifs clairs. Mais pour délivrer cette puissance, elle doit être préparée, anticipée, cadrée, dans le contexte du projet familial.
Daniel Robin prend quelques minutes pour « planter le décor » de HERIGE, en racontant son histoire de plus de 100 ans et son évolution dans le monde du bâtiment et des matériaux, ainsi que son introduction en Bourse dès 1990.
Pour Pierre-Emmanuel Costeux, l’entreprise familiale est à la rencontre de deux mondes : famille et entreprise, qui ne sont pas faits pour s’entendre naturellement. Mais c’est aussi de cette différence que naît la spécificité des projets d’actionnaires familiaux. C’est ainsi l’entreprise qui fait vivre à la famille « une grande aventure » collective, et, RECIPROQUEMENT, c’est aussi la famille (CE QU’ELLE EST = identité collective et projet clarifiés) qui fait ce que l’entreprise DEVIENT. Il y a donc un lien intime entre identité de la famille et projet d’entreprise, un alignement.
A la lecture de ce lien « intime », Daniel Robin nous décrit le contexte familial de HERIGE, autour de 2 familles et de plus de 50 actionnaires familiaux.
Pierre-Emmanuel Costeux rebondit sur ce contexte familial et insiste sur la nécessité de d’abord consolider et travailler à la fois sur le projet familial, le projet d’entreprise, et sur le capital. Ensuite, qui va/peut porter ce capital ?
- tout en laissant les ressources nécessaires à la croissance
- tout en faisant respirer le capital quand c’est nécessaire
- tout en assurant un rendement du capital (dividendes)
Daniel Robin prend ensuite la parole sur cette évolution du capital dans le temps, avec notamment la Bourse en 1990. La famille détient encore 64% du capital, réparti sur 2 familles. Depuis l’introduction de 10% du capital en bourse ont été émises des OC et des ABSA (dont une partie réservée aux salariés). Il a donc été nécessaire pour la famille d’être accompagnée dans son organisation pour jouer ce rôle d’actionnaire, et pour rédiger la charte et les modes de fonctionnement mis en place avec notamment un conseil de famille.
Alexis Janin prend alors la parole pour évoquer les moyens nécessaires pour nourrir ces projets à la fois familiaux et entrepreneuriaux.
« Une entreprise familiale est une entreprise dont les actionnaires principaux sont des personnes d’une même famille qui exercent une influence directe ou indirecte sur le management. Le pouvoir au sein de l’entreprise se traduit, soit par la direction effective, soit par la nomination et le contrôle des dirigeants. ». Toutes les configurations sont ainsi possibles : Herige, GPI, GL Events, SEB…
De là se posent 3 questions clés :
- Quel est le degré de fluidité adapté à mon projet ?
- Comment je mets en œuvre les moyens pour coller à cette fluidité (pactes d’actionnaires, action de concert et noyaux durs…) afin de donner tous les atouts (capitalistiques) à mon projet ?
- Enfin, puis-je me réserver les moyens de changer la règle de fluidité lorsque mon projet change ?
BUT : avoir un capital qui correspond au projet de la famille et de l’entreprise
Le processus d’IPO a tout d’abord pour vertu d’objectiver la valorisation d’une entreprise ce qui permet à l’ensemble des parties prenantes (associés fondateurs / membres familiaux…) d’avoir une fair-value comme point pivot de futurs échanges autour du capital.
C’est à ce titre un potentiel moment charnière pour aligner les intérêts des actionnaires historiques autour d’une nouvelle dynamique. Les actionnaires familiaux peuvent ainsi, lors de l’IPO ou a posteriori, sortir du projet d’entreprise, y rester, ou même s’y renforcer.
La fluidité du capital peut cependant être contrôlée afin de conserver le degré de contrôle souhaité. Les actions de concert, les pactes d’actionnaires, mais aussi la fiscalité de la transmission, incitent ainsi à agir collectivement, et à conserver sa participation en bonne intelligence avec les autres actionnaires historiques.
Le Pacte Dutreil par exemple permet ainsi une exonération de 75% de la valeur des titres – que ce soit en pleine propriété ou en démembrement.
Par ailleurs, l’ouverture du capital est aujourd’hui, dans la grande majorité des cas, l’occasion de recourir à une augmentation de capital – ou à défaut, donne la possibilité d’y avoir recours quand l’entreprise le souhaite. Le financement de la croissance (externe ou interne) de l’entreprise est ainsi un levier fort de l’entreprise familiale cotée. Les dirigeants/la famille peuvent ainsi trouver les moyens et le rythme adéquat au projet d’entreprise défini.
Au fur et à mesure de l’utilisation de l’augmentation de capital, la dilution peut même devenir élevée – 49% voire 66% – sans nécessairement que la capacité de la famille, ou du dirigeant, à décider du devenir de l’entreprise soit affectée (par exemple au travers d’un pacte d’actionnaires réservant des pouvoirs spécifiques au dirigeant minoritaire). Des périodes de relution, avec ou sans montage via une holding structurante, peuvent aussi avoir lieu au gré de l’évolution de la stratégie familiale.
L’horizon de temps des investisseurs boursiers étant infini, la stratégie d’entreprise peut se développer au long cours avec une moindre pression de clause de sortie à 5/7 ans comme dans le PE. C’est d’ailleurs bien cette idée de stratégie à MT/LT qui séduit les investisseurs dans cette typologie de société – et non les seuls instruments de levier financier ou d’optimisation des critères de gestion.
Daniel Robin évoque d’ailleurs la tentation régulière de sa famille d’orchestrer une sortie de bourse mais finalement une culture familiale et une rigueur exigée dont elle s’accommode bien.
Pierre-Emmanuel Costeux conduit enfin la conclusion en résumant 3 notions clés :
- Distinction entre le cœur du projet familial et les moyens (familiaux ou non) de mise en œuvre du projet, notamment avec la bourse au capital ou pas
- Un mot sur la transmission et en particulier sur l’objet de la transmission : est- ce qu’on transmet une entreprise (avec son projet d’entreprise) ou une capacité d’entreprendre incarnée par une entreprise ou à un instant T ? En un mot : l’entreprise est fluide, le capital peut être plus ou moins fluide, mais le projet d’entreprise c’est le fil rouge qui guidera le reste…
- Enfin un dernier mot sur les fonds activistes : risque d’intrusion qu’il faut anticiper (activiste ou hostile) ET une manière de penser pour un comportement « vertueux » au bénéfice du pilotage du groupe et de l’écoute des minoritaires
La suite du déjeuner est l’occasion de plusieurs échanges entre les participants dans la salle, chacun évoquant sa situation et comment tous ont travaillé à aligner capital, famille et entreprise.